© Dolor lorem esse ad irure amet 2012
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À mon époque, nous devions surtout nous priver de sucreries et de desserts pendant
les 40 jours de pénitence du carême ainsi que faire, "maigre- jeûne"1 le Vendredi
saint 2.
Lorsque
nous
demeurions
au
village,
nous
suivions
davantage
ces
coutumes,
mais
après
être
allés
demeurer
sur
la
ferme
dans
le
grand
rang
nord,
nous
le
faisons
de
moins
en
moins.
Nous
prenions
de
l’âge,
la
famille
s’agrandissait
et
nos
parents
étaient
de
plus
en
plus occupés, voire débordés.
Parfois
notre
père
nous
reprochait
de
ne
pas
assez
(suffisamment)
faire
carême
:
"Vous
êtes
rendu
que
vous
mangez
du
chocolat
tous
les
dimanches,
même
durant
le
carême".
Nous
lui
répondions
:
"Mais
papa
c’est
toi
qui
nous
en
achète
en
revenant
de
la
messe".
Il
avouait
piteusement
:
"Ben
oui…
je
l’sais…
j’y
pense
pas".
C’est
qu’il
avait
pris
l’habitude
des
gâteries
du
dimanche
dès
son
plus jeune âge, ce qui était rare à son époque, mais comme il était le petit 17e…
Le
Vendredi
saint,
nous
mangions
surtout
des
omelettes
et
des
"binnes"
(beans
:
fèves)
au
"lard"…
Était-ce
vraiment
ça
faire
"maigre-jeûne"?
Comme
nos
parents
présentaient
le
menu
comme
étant
une
pénitence,
certains
rechignaient
d’avance.
Ils
nous
répondaient
que
dans
leur
temps
c’était "ben plusse pire"3, ils ne mangeaient que du pain sec
4
et de l’eau.
1-
Maigre
et
jeûne
:
Jeûner
de
viande,
surtout
grasse
comme
le
porc.
Le
poisson
et
les
œufs
étaient accepté, mais le jeûne le plus strict était préférable, soit un peu de pain sec et de l’eau.
2-Jour de crucifixion de Jésus
3-
Nous
les
enfants
utilisions
cette
expression,
mais
ma
mère
nous
reprenait
constamment
en
nous
expliquant
qu’on
ne
peut
ajouter
"plus"
à
pire.
Mais
nous
tenions
à
ajouter
un
degré
au
mot pire.
4 -Souvent pesé, je crois que c’était 4 onces.
Dans
ma
tête
d’enfant,
je
trouvais
ça
bien
stupide
de
prendre
le
temps
de
faire
sécher
du
pain
avant
de
le
manger.
C’était
déjà
un
menu
pas
facile
à
avaler,
avait-on
vraiment
besoin
d’en
rajouter
5.
..
Plus
tard,
nos
parents
nous
avouèrent
qu’eux
avaient
été
assez
gâtés
pour
ne pas manger de ce pain-là. Tandis que pour bien d’autres gens par contre….
Nous
les
enfants
aimions
beaucoup
manger
du
pain,
mais
certains
d’entre-
nous
n’aimaient
pas
les
croûtes,
ce
qui
finit
par
frustrer
les
autres.
La
coutume
s’est
donc
vite
répandue.
Ainsi
nous
ne
mangions
ni
la
première
ni
la
dernière
tranche
du
morceau
6
de
pain.
Nous
avions
toujours
eu
du
pain
tranché
"acheté
"7
puisque
mon
père
avait
longtemps
travaillé
à
la
boulangerie
de
son
frère
Léon
et
ensuite
de
son
frère
Henri,
avant
d’avoir
sa
ferme.
Et
afin
de
ne
pas
nous
faire
prendre,
nous
cachions
ces
croûtes
minutieusement
sous
une
bonne
dizaine d’autres pains, dans l’armoire à pain.
Puis
un
Vendredi
saint,
notre
mère
décida
de
suivre
la
règle
à
la
lettre.
Elle
sortit
toutes
les
croûtes
sèches
accumulées
au
fond
de
l’armoire
et
déclara
:
"Aujourd’hui
pour
faire
maigre-jeûne,
vous
allez
manger
du
pain
sec".
Voilà
que
je
pensais
enfin
découvrir
les
vraies
raisons
de
cette
coutume
étrange,
nous
n’étions
donc
pas
les
premiers
à
avoir
usé
de
ce
stratagème.
Nous
étions
tous
horrifiés
à
l’idée
du
repas qui nous attendait, car nous avions encore moins envie de manger ces tranches-croûtes plusieurs jours plus tard…
5-
À
moins
que
l’astuce
soit
que
le
pain
sec
pèse
moins
que
le
frais,
donc
on
obtient
une
portion
plus
généreuse…
enfin
si
on
peut dire.
6- Morceau = un pain entier
7 -Appelé aussi « pain du boulanger », on achetait environ une dizaine de pains, 2 fois par semaine.
Ma
mère
s’exécuta.
Elle
les
aligna
toutes
sous
le
grill
du
four
et
nous
les
servis
dorées
avec
une
bonne
couche
de
beurre
fondant,
et
une
tasse de cocoa
8
chaud. C’était franchement… délicieux!
Mais était-ce vraiment ça, faire "maigre-jeûne"?
Puis
notre
mère
nous
expliqua
que
lorsque
quelques
uns
de
nous
avaient
commencé
à
ne
plus
manger
les
croûtes,
elle
et
mon
père
les
mangeaient.
Mais
quand
nous
nous
sommes
presque
tous
mis
à
faire
de
même,
ils
ne
suffirent
plus
à
la
tâche.
C’est
donc
après
avoir
découvert
notre
fameuse
cachette,
qu’elle
décida
d’agir.
Elle
nous
dit
que
c’était
péché
de
gaspiller
du
manger
alors
que
tant
de
gens
en
manquaient.
Je
crois
que
c’est
l’une
des
rares
fois
qu’elle
nous
fit
un
repas
du
Vendredi
saint,
puisqu’elle
l’oubliait
toujours.
Notre
mère
était lunatique
9.
Notre
père
lui
en
faisait
d’ailleurs
durement
le
reproche
:
"J’peux
pas
croire
que
tu
puisses
oublier
une
affaire
grave
de
même,
tu
vas
finir
par
en
faire
des
païens
10
!"
Et
notre
mère
de
lui
répondre
:
"Puisque
tu
es
si
fin,
toé,
tu
le
feras
le
repas
du
Vendredi
saint!".
Donc
l’année
suivante,
lorsque
approcha
la
semaine
sainte,
notre
père
nous
avertit
:
"Vous
allez
voir
que
cette
année,
vous
allez
faire
maigre
jeûne,
moé
j’vas y voir!".
8-
Cacao
mais
nous
disions
cocoa
(terme
anglais)
:
chocolat
en
poudre
qui
se
dissous
dans
l’eau
ou/et
lait
chaud,
contrairement
au Quik (arrivé plus tard) chocolat en poudre, sucré et se dissout dans le lait froid.
9-
Lunatique
dans
le
sens
d’être
dans
la
lune;
distrait,
perdu
dans
ses
pensées;
mais
aussi
le
vrai
sens
de
lunatique
:
adjectif
:
dont l’humeur change souvent; et synonymes : capricieux (imprévisible), changeant, fantasque (fantaisies bizarres), versatile.
10-
Terme
ayant
à
l'origine
une
connotation
péjorative
("pagus"
village,
"paganus"
paysan,
pratiquant
des
religions
polythéistes
(plusieurs dieux) de l'Antiquité) utilisé par l'église chrétienne pour décrédibiliser les anciennes croyances.
Il
faut
dire
que
notre
mère
perdait
souvent
la
notion
du
temps,
trop
concentrée
sur
une
tâche.
Elle
était
toujours
étonnée
de
nous
voir
arriver
pour
dîner:
"Comment
vous
êtes
pas
déjà
arrivés,
vous
venez
juste
de
partir?"
Disions
que
nous
étions
vite
les
seconds
étonnés...
Notre
père
s’est
donc
de
plus
en
plus
occupé
du
repas
du
midi,
interrompant
même
ses
travaux
de
ferme
pour
se
mettre
aux
chaudrons.
Ce qui fâchait bien notre mère lorsqu’elle le voyait arriver: "Si t’étais pas venu, j’y aurais pensé tu (toute) seule!"
Puis
vint
le
jour
"
J"
ou
plutôt
le
jour
"
Vs"
(Vendredi
saint).
Nous
sommes
arrivés
de
l’école
en
trombe,
à
celui
qui
gagnera
la
course
pour
entrer le premier. Comme nous avions très peu de temps pour dîner puisque nous
voyagions
en
autobus,
nous
nous
sommes
immédiatement
mis
à
manger.
Tout
à
coup,
étonnée,
j’ai
demandé
à
mon
père:
"Asteure
11
le
Vendredi saint on a le droit de manger du rôti de porc avec des patates jaunes?".
Il s’écria : "CALVERRE
12!
j’ai complètement oublié…"
Vitement (et il était très vite) il nous arracha nos assiettes! Puis se ravisa : "Bof… continuez, c’est pas de votre faute, c’est de la mienne". Notre
mère rigolait. Outré, il lui lança: "Tu me voyais fére (faire) pis t’as rien dit?" Elle se justifia : "Ben j’y ai pas pensé moé non plus!". Notre père et
notre mère étaient lunatiques.
Mais
la
question
demeurait
entière,
était-
ce
vraiment
ça,
faire
"maigre-
jeûne"?
Car
tous
les
mets
servis
étaient
loin
de
représenter
une
pénitence
pour
nous.
Au
contraire,
nous
les
trouvions
très
bons
et
regrettions
de
n’en
manger
que
trop
rarement
:
tartos
13
,
crêpes,
binnes,
omelettes,
patates
fricassées,
etc.
1
1-
Parce
que
les
coutumes
religieuses
avaient
commencé
à
connaître
beauc Asteure : à cette heure, maintenant)
12- Juron de "Calvaire": Lieu où Jésus de Nazareth fut crucifié selon les évangiles, une croix en monument
13 -Crêpes ou galettes faites de farine de sarrasin, aussi appelées ployes à d’autres endroits
Je
voyais
mal
qu’est
ce
qu’il
pouvait
y
avoir
de
maigre
et
de
jeûne
là-dedans,
puisqu’ils
étaient
généreusement
agrémentés
de
lard,
de
beurre,
de
mélasse,
de
cassonade,
et
parfois
même
de
sirop
d’érable
14.
Et
en
plus,
nous
pouvions
en
manger
à
satiété.
C’est
qu’il
fallait
bien compenser pour le grand sacrifice…
Plus tard, nous ne faisions plus beaucoup de cas de cette coutume religieuse. Comme nous n’étions pas très portés sur la viande, la
venue des pâtes Catelli nous apporta deux de nos mets préférés, du macaroni et du spaghetti, au jus de tomates. Pouvait-il y avoir
plus maigre-jeûne que ça? Quoique
nous
aimions ça avec beaucoup de beurre…
Puis nous ne pensions pas souvent à faire adonner ces mets au jour du
Vendredi saint.
Nous étions lunatiques
15
. Le contraire eût été surprenant."
Bon sang ne saurait mentir" !
14-
Il
n’y
avait
pas
d’érables
à
sucre
dans
notre
région,
sans
doute
à
cause
du
climat,
ce
qui en faisait un aliment plus rare et plus cher.
15-C’est
le
qualificatif
que
maman
nous
rapportait
lorsqu’elle
revenait
de
signer
nos
bulletins.
"Toutes
vos
maîtresses
(institutrices,
professeurs)
m’ont
dit
:
"Il
ou
elle
est
dans la lune"!"
Le carême
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Carole Gagnon,
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2011